Dans le cadre de sa chronique sur l’engagement dans la ville de Salvador, au Brésil, Marie Paul va chaque semaine à la rencontre de groupes qui s’engagent pour différentes causes. Après son premier article sur l’action avec Canteiros Coletivos (disponible ici), voici l’interview avec Débora Didonê, fondatrice de ce mouvement.
Comment définiriez-vous Canteiros Coletivos ?
Canteiros Coletivos, ce n’est pas un groupe formel, car ce n’est ni une association, ni une ONG, ça n’a pas de formalisation sur le papier. C’est plutôt un groupe de personnes totalement spontané, des gens qui se joignent pour faire des actions de rue. Il y a des personnes qui ont le désir d’aider, de contribuer, avec nos actions, d’aider à organiser, d’être plus présents, et il y a d’autres personnes qui ne peuvent venir que pour les actions, au moment concret du plantage ou… de n’importe quel type d’intervention qu’on fait. C’est donc en fait un mouvement, c’est pour ça que je l’appelle “le mouvement Canteiros Coletivos”, parce que ça regroupe des personnes qui ont en commun le désir de faire des actions dans l’espace public. On fait un travail de groupe, où chacun aide pour quelque chose. Et ainsi, ensemble, on forme un mouvement.
Et qu’est-ce que vous faites, en général, dans ce mouvement ?
L’idée générale est d’inspirer les gens à occuper les lieux publics qui sont inutilisés, et qui pourraient être des lieux de partage, où les gens pourraient se rencontrer, organiser des activités… Mais ils ne le sont pas aujourd’hui au Brésil, les personnes n’ont pas encore réussi à créer une relation avec l’espace public, parce qu’ils ont peur, parce qu’ils le pensent dangereux… Et ainsi l’extérieur reste hostile, et c’est comme ça qu’il devient réellement dangereux, quand il n’y a personne dehors. L’idée de Canteiros Coletivos est donc de réinvestir ces lieux et de faire naître chez les gens un attachement à l’espace public. Pour ça, on fait différentes actions, notamment de plantations de plantes comestibles, ou bien encore de décoration florales et artistiques… L’idée c’est que nous ne fassions pas cela tous seuls pour chaque quartier de Salvador, mais que les habitants des quartiers s’approprient cette idée et s’en inspirent pour créer des choses dehors, monter des collectifs, récupérer ces espaces et puissent les utiliser pour mettre en place des choses communes. Pour qu’ils puissent faire vivre ces espaces et permettent à la rue de devenir un endroit libre, ouvert.
Pourquoi faites-vous cela ?
En fait, ce qui m’a inspirée au début, c’est que je voyais qu’il y avait beaucoup de détritus dans les espaces qui devraient être des espaces verts, et je regardais toujours ces espaces en me disant que, à la place de ces déchets, il pourrait y avoir de la végétation, des fruits, des fleurs, de la vie… Et ainsi je suis restée pendant longtemps à penser à ça de mon côté. Et quand finalement j’ai réussi à me mettre en contact avec des groupes de Salvador, j’ai alors pris conscience qu’il y avait en fait beaucoup de monde qui pensaient comme moi, et que ce serait bien mieux de se regrouper pour travailler concrètement à changer les choses.
Est-ce que vous qualifieriez votre mouvement d’ “engagé” ? Et si oui, pourquoi ?
Oui, bien sûr, parce que sans engagement, il n’existerait tout simplement pas ! L’objectif même de Canteiros Coletivos est d’inspirer l’engagement citoyen pour changer les choses à l’échelle de la ville. Des fois, quand on arrive dans des espaces verts on se rend compte que des gens ont déjà planté et fait des choses là, et c’est merveilleux, parce que ça montre qu’on n’est pas tous seuls, mais que d’autres personnes ont aussi cette volonté de redonner à l’espace public sa fonction première. C’est exactement ça qu’on cherche.
Que signifie “engagement” pour vous ?
“Engagement”, pour moi ça signifie implication pour un idéal, avec une philosophie de vie, ça a à voir avec nos valeurs. Pour moi, l’engagement c’est la volonté que ses actes soient en phase avec ses idées, c’est le fait de se reconnecter avec une communauté pour agir ensemble. C’est quand une personne s’investit parce qu’elle voit du sens dans ce qu’elle fait, et parce que, plus que de recevoir en échange un bien matériel, elle s’en trouve remplie d’un but, remplie de vie, d’une énergie qui la porte pour faire ce qu’elle fait. L’engagement, ça a à voir avec la signification qu’on donne à nos actes, pour le bien commun. Parce que je crois aussi qu’on ne s’engage pas pour son bénéfice propre, mais pour un groupe, pour un collectif, pour la société… L’engagement, c’est aussi se dévouer, s’impliquer, donner de sa personne. Le Brésil d’aujourd’hui connaît un grave manque de démocratie, l’unique action reconnue qu’on peut faire c’est voter… Mais je crois que ça a plus de sens d’essayer d’agir à travers les micropolitiques, toutes ces petites actions de tous les jours qui ont indirectement un impact politique. Après, il existe différentes modalités d’action pour faire changer les choses, certains vont préférer tenter de faire pression sur les preneurs de décisions locaux, d’autres vont essayer de faire changer les lois… Nous, à Canteiros Coletivos, on essaye d’investir les gens directement grâce à des formes ludiques comme la plantation d’arbres fruitiers, de plantes aromatiques, des ateliers de compostage…
Pouvez-vous me citer un exemple concret d’action récente? Expliquez-moi comment ça s’organise, quelle est la structure.
A Canteiros Coletivos, il n’y a pas une direction imposée, c’est très ouvert pour tout le monde, chacun fait ce qu’il pense utile. Par exemple, ce matin, on a fait une plantation d’arbres fructifères sur la place Coelho Neto, à l’occasion du jour mondial de la plantation. Certains ont amené des arbustes à planter (avocatier, oranger, citronnier, mandarinier, bananier…), d’autres ont amené des outils, d’autre ont amené de quoi manger, quelqu’un à emmené sa guitare, quelqu’un d’autre a pris son appareil photo, et d’autres ont simplement amené la force de leur bras pour aider, c’est important aussi ! En résumé, c’est un fonctionnement totalement spontané, horizontal.
Avez-vous déjà vu le film “Demain”, de Cyril Dion ? Canteiros Coletivos me fait penser à Incredible Edible, vous connaissez ?
Bien sûr! J’ai déjà été à Todmorden en Angleterre avec une amie pour visiter, c’est génial ! Mais je pense que la conscience de l’engagement en Europe est bien différente d’ici. En Angleterre, le climat est très froid, c’est bien plus difficile de faire pousser des choses qu’au Brésil, mais malgré tout, les personnes s’occupent des jardins collectifs et plantent, tout en sachant que l’hiver va tout tuer, en se disant « Peu importe ! On replantera au printemps ! ». Il y a des gens qui s’occupent des plantes chaque jour, donnant un peu de temps en passant, en rentrant du travail… Et ça c’est vraiment impressionnant ! Ici au Brésil, il n’y a pas une telle conscience de la collectivité. Les gens n’ont pas cette idée que, par exemple, ils ont la chance de pouvoir aller dans une faculté publique, de recevoir une super formation en urbanisme, et que, en échange de ça, ce serait une forme juste et honorable que de mettre ses capacité au service du bien commun, d’aider la ville à mieux vivre. Mais bon, j’espère que cela va se développer, on y travaille !